AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

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Septembre 2019

Mardi 17 septembre 2019

Les ascensions dans les montagnes

 

Si vous avez gravi les hauts sommets, vous avez dû éprouver ces joies profondes qui sont certes parmi les plus chères délices qu’un voyageur ait jamais goûtées. Vive(nt) donc les ascensions dans les montagnes! D'abord c'est une grande volupté physique de respirer un air frais et vif que n'ont pas vicié les exhalaisons des plaines. On se sent comme renouvelé(s) en aspirant cette atmosphère de vie ; à mesure qu'on s'élève, l'air devient plus léger; la poitrine se dilate, la gaieté entre dans l'âme.

Chaque fois que dans nos pérégrinations nous nous sommes assigné comme but la cime d'une montagne, nous sommes devenus maîtres de nous-mêmes et responsables de notre propre vie ; nous ne sommes pas livrés aux caprices des éléments comme les matelots naviguant sur les mers. Cependant en mille occasions durant l'ascension d'une montagne, nous nous sommes rendu compte des dangers que nous eussions courus si un instant de distraction nous eût fait chanceler ou si nos regards se fussent laissé voiler tout à coup par un vertige.

C'est précisément cette conscience du péril, jointe au bonheur de nous savoir agiles et dispos, qui a doublé dans notre esprit le sentiment de la sécurité. Avec quelle joie nous nous sommes rappelé plus tard le moindre incident de l'ascension, les pierres qui se détachaient de la pente et qui plongeaient dans le torrent avec un bruit sourd, les racines auxquelles nous nous sommes accrochés, les filets d'eau auxquels nous nous sommes désaltérés, la première crevasse que nous avons osé franchir, les pentes que nous avons péniblement gravies en enfonçant jusqu'à mi-jambe dans la neige, enfin la cime où nous nous sommes dressés nu-tête dans le vent et d'où se sont offertes à notre admiration les montagnes, les vallées et les plaines, que nous avons vues alors se déployer en un prestigieux panorama.

Texte complémentaire

Étendu sur l’herbe à côté d’un débris de muraille qui fut autrefois un château fort et que les humbles plantes ont démoli pierre à pierre, je jouissais doucement de cette immense vie des choses qui se manifestait par le jeu de la lumière et des ombres, par le frémissement des arbres et le murmure de l’eau brisée contre les rocs. C’est là, dans ce site gracieux, que naquit en moi l’idée de raconter les phénomènes de la Terre, et, sans tarder, je crayonnai le plan de mon ouvrage. Les rayons obliques d’un soleil d’automne doraient les premières pages et faisaient trembloter sur elles l’ombre bleuâtre d’un arbuste agité.

 

D'après Élisée Reclus

Jeudi 19 septembre 2019

Texte n.1

 

Les vieux souliers

L'autre semaine, j'ai repéré sur le dessus d'une poubelle une paire de brodequins crevés, déchirés, brûlés par la sueur, humiliés de surcroît parce qu'avant de les jeter on avait récupéré leurs lacets , et ils bâillaient en tirant la languette et en écarquillant leurs œillets vides. Mes mains les ont cueillis avec amitié, mes pouces cornés ont fait ployer les semelles – caresse rude, mais affectueuse -, mes doigts se sont enfoncés dans l'intimité de l'empeigne. Ils semblaient revivre, les pauvres croquenots, sous un toucher aussi compréhensif, et ce n'est pas sans un pincement au cœur que je les ai replacés sur le tas d'immondices.

Michel Tournier (Le Roi des Aulnes)

 

 

Texte n.2

Aiguillée

 

L'aiguillée, c'est l'exacte longueur de fil ou de coton nécessaire à la brodeuse pour réaliser son motif. Si son aiguillée est trop courte, elle devra s'arrêter en chemin, faire un point d'arrêt puis un nouveau nœud pour en repartir une nouvelle, mais ce sera moins beau si on retourne l'ouvrage, et la broderie se juge aussi par son envers.

Si en revanche, l'aiguillée est trop longue, cela fera du gaspillage, car le bout restant sera trop court pour repartir un motif. Sans compter qu'un très long fil oblige à faire des gestes de bras excessifs, qui retardent le mouvement. C'est tout l'art de la brodeuse, de savoir organiser son travail en respectant à la fois l'économie et la beauté de l'ouvrage.

Je dis « brodeuse » et l'on pourra me reprendre là-dessus. Il y a eu, et il y a encore des brodeurs, des hommes aux doigts agiles aimant le contact de l'étoffe, et la beauté qui émane de tous ces points minutieux, de ces fils colorés ou ton sur ton ; aimant par-dessus tout ces prétextes délicats au silence, à la méditation.

/...

Au temps de la marine à voile, lors des longues journées, la recherche du vent et des lieux de pêche, les marins, dit-on, brodaient au petit point des tapisseries naïves, sachant rendre douces leurs grosses mains malmenées par les filets. Que de fleurs, que de voiles, que de sirènes ont dû éclore à leur bord !

Anne Sylvestre (Coquelicot et autres mots que j'aime)

 

 



18/09/2019
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