AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

Jeudi 14 octobre 2021

Un jour la troupe campa a a a

D'après une convention qui paraît remonter au premier établissement du langage articulé, l'A fut employé d'une manière systématique, comme lettre initiale, dans les mots exprimant des choses élevées telles que aigle, ange, arbre, astre, athlète … Un écrivain est allé jusqu'à soutenir qu'il pourrait être émis par quelqu'un qui n'aurait ni langue, ni dents, ni lèvres. Selon Pierre Larousse, la lettre A se fait entendre dans tous les bruits élémentaires : dans les vagues, dans les orages, dans les cascades, dans les cataractes, dans les éclats de la foudre, dans le fracas des tempêtes, dans le feuillage des bois agités par le vent, dans le gazouillement, dans les glapissements, dans les croassement des bêtes de proie, dans les hourras, dans le brouhaha, dans le charabia, dans le galimatias et cetera (cætera).

Le A commercial ou arobase (@) n'est pas une nouveauté sur les claviers. Il servait sur les factures et autres documents de comptabilité nord-américaine : « 3 bitoniaux @ 5$ l'unité = 15$ ». La façon dont le @ est arrivé au cœur de nos courriers électroniques est une de ces histoires d'informaticien(s) accro(s), faisant des manips dans son labo. L'ingénieur Tomlinson qui travaillait sur le projet Arpanet, ancêtre de l'Internet, avait besoin d'identifier à la fois l'utilisateur et le serveur hébergeur : il choisit ce caractère qu'on n'utilisait ni dans les noms propres, ni dans les noms de serveurs. La plupart des langues ont trouvé leurs propres mots pour nommer cette entité jadis méconnue : singe en bulgare et croate, cache-oreilles en islandais, queue de cochon en norvégien etc..

La pluie se mit à tomber b b b

« Être marqué du B », c'était autrefois, posséder des défauts dont la désignation commence par B : on était badaud, bancal, bancroche, bâtard, bête, bègue, bigleux, boiteux, borgne, bossu. Certains soutenaient que ces afflictions rendaient leurs porteurs insensibles à la raillerie ; d'autres ont été jusqu'à déclarer que toutes ces infirmités dont le nom commence par B signalent que ceux qui en sont affligés sont des sorciers.

Au vu des bassesses du B, on comprend aisément le sens de la série B, du plan B, de la catégorie B ainsi que de la division B, même de la face B d'un vinyle. Évidemment, vivre dans l'ombre de la première lettre de l'alphabet n'est pas une position de grand confort : on est de seconde catégorie, pas top. Le nom grec de la lettre B, bêta, souffre d'affres similaires ; un mâle bêta, c'est un soumis, un suiviste, et non pas un leader : un bêta, quoi. Les astronomes vous diront que dans une constellation, l'étoile la plus brillante se nomme alpha, la suivante bêta et ainsi de suite.

Il arrive cependant que le B dépasse le A. En informatique, la première version d'un logiciel – avant la mise sur le marché – se nomme alpha ; c'est au stade suivant – la version bêta – que sont retirés bugs et boulettes. Un autre domaine où B est meilleur que A, c'est celui de la vénusté : qui préférerait le A au B en matière de balconnets ?

Mardi 19 octobre 2021

Qui suis-je ?

Personnage célèbre de l'Antiquité, j'ai profondément marqué l'Histoire de mon empreinte. Tour à tour orateur et conquérant, écrivain et dirigeant, j'ai patiemment gravi les échelons menant aux postes les plus convoités. Tous les observateurs de ma vie publique ont souligné mon savoir-vivre, ma politesse envers mes hôtes, ma prodigalité et cetera. Néanmoins, mon caractère narcissique voire mégalomane m'a poussé entre autres lubies, à faire rebaptiser le mois que l'on appelle désormais juillet.

Né une centaine d'années avant Jésus-Christ, je posséderais, au dire de certains, les mêmes initiales que ce dernier ; mais mon vrai prénom est Caius et l'épithète du Messie ne saurait être considérée comme un nom de famille ! Issu d'une famille patricienne, j'ai pu entamer la course aux honneurs dès mon jeune âge, à la condition sine qua non d'effectuer mon service militaire comme cavalier, ce qui requérait un cens de quelque quatre cent mille sesterces.

Tribun, questeur, édile, grand pontife puis proconsul en Gaule, j'ai dû mon ascension fulgurante à des appuis haut placés et à ma propension à financer des jeux du cirque opposant rétiaires, thraces et mirmillons, qui m'a apporté un plébiscite de la part du vulgum pecus. Les peuples celtes qui ont eu affaire à mes légionnaires se sont certes vu massacrer ou emmener en esclavage, mais les terres que j'ai parcourues sont devenues des provinces romaines où la langue latine, ancêtre du français, fut imposée nolens volens.

Lesdits faits d'armes m'ont valu des triomphes faramineux : j'y faisais oublier ma calvitie, que j'avais discrètement dissimulée sous une couronne de laurier. Longeant les bornes milliaires, je voyais les vexilles dressés sur des mâts, onduler à l'unisson des crinières des chevaux isabelle ou zains parfois atteints de seime. Lorsque ensuite j'ai franchi le Rubicon à la tête de mes troupes, je suis ipso facto devenu persona non grata aux yeux d'une coterie effarouchée par mon pouvoir sans limites. C'est mon protégé Brutus qui osa finalement m'envoyer ad patres.

Benoît Delafontaine

Montés sur leurs chevaux bais, l'abbé de Naples et le bey de Tunis restaient bouche bée devant la baie, de Tunis elle aussi. Nimbés dans leurs trabées, inhibés comme des macchabées burkinabés, ils hésitaient à appliquer leur plan B.

Les dictées loufoques du professeur Rollin