AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

Mars 2018

 Mardi 6 Mars 2018

Café grammaire

 

 

          Qui l'eût imaginé ? Boire ou écrire, on n'aurait donc plus à choisir ? Déjà, dans les années quatre-vingt-dix, un mastroquet périgourdin était devenu la coqueluche des magazines pour avoir prêché la croisade contre l'extinction de l'imparfait du subjonctif. Il avait fallu qu'on le vît pour le croire ! Et voilà qu'à présent on le singe - en été comme en hiver – sur la côte d'Opale ! Un cabaretier calaisien, maire adjoint à ses heures, n'entrouvre-t-il pas l'huis de son estaminet pour proposer à des ouailles moins illettrées qu'assoiffées de culture, une dictée en bonne et due forme ? C'est Bernard Pivot que la nouvelle aura rasséréné : chez cet amateur de beaujolais, en effet, le culte des grands crus l'a toujours disputé à la passion des mots. Et fi des oiseaux de mauvais augure qui concluront de ce qui précède que la langue française est plus que jamais... en rade.

          Il ne s'agit d'ailleurs là que d'un retour aux sources : avant qu'il ne devînt, sous la plume intransigeante d'un Zola, cet assommoir où l'ouvrier allait perdre son âme et surtout sa paie, le café fut par excellence, au Siècle des Lumières, le lieu où soufflait l'esprit... Combien de philosophes se sont plu, sans ambages superflues, à y refaire le monde ! Combien de joueurs d'échecs s'y sont révélés docteurs ès mats, rivalisant de roques endiablés et d'audacieux gambits ! Combien de sans-culottes, toute honte bue, y ont affilé leurs piques à l'envi, dans l'attente ô combien fébrile du Grand Soir ! Puissent les mânes de tous ceux-là, par la rumeur publique alléchés, venir éclairer la lanterne de notre savant auditoire ! Puissent-ils notamment inspirer celui qui, hier bourreau ( ce Pascal, quoi qu'on en dise, n'a rien d'un agneau ), fait aujourd'hui partie des victimes ! Il ne manquerait plus que, tout à l'heure, ses commensaux saluent sa performance en entonnant en chœur :  « Il est des nôtres, car il a bu la tasse comme les autres... »

 

Le contexte : Calais – 2013 – L'auteur avait tenu à rendre hommage à Pascal Pestre et à sa « dictée bistro » en rédigeant un texte célébrant son initiative et en venant le dicter lui-même aux habitués du Singe en hiver

 

Jeudi 8 mars 2018

  

Texte N.1

Au rendez-vous de la saison nouvelle

 

 

 

Fin février déjà, quelques oiseaux zèbrent le ciel à la recherche de brins de paille et de branchages morts qu’ils ont repérés depuis longtemps pour s’en fabriquer un nid douillet. Mille signes prémonitoires marquent la fin de l’hiver quoique de fortes pluies ou de fraîches (fraiches) giboulées soient encore à craindre. Les vêtements imperméables et chauds que nous avons portés jusque-là n’ont pas encore réintégré le placard.

Des pointes vertes trouent le sol détrempé. Des crocus jaunes et des jacinthes mauves remplaceront bientôt les perce-neige (perce-neiges) courageux qui nous ont réjouis précocement.

Les températures plus douces ne sont pas les dernières à nous indiquer le renouveau. Le jardinier n’a pas encore affûté (affuté) ses outils, mais cela ne tardera pas. Bientôt les pelouses demanderont une première coupe et les fenêtres s’ouvriront toutes grandes dans un délire printanier.

Liliane Balfroid

 Texte N.2

  

 Dans le baba

  

 

     « Machinalement, accablé par la morne journée, je portai à mes lèvres une cuillerée (cuillérée) de thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis... »

      On se délecte à la lecture de ces lignes écrites par Marcel Proust, mais sait-on que la madeleine en question a été créée à Commercy en Lorraine, par une jeune fille nommée Madeleine, en mille sept cent cinquante-cinq, afin que fût régalé le roi Stanislas 1er ?

      Grand gourmand, ce roi jouisseur, fêtard en diable, et sa pâtissière se sont laissés aller à leur imagination, pour que muent vers des apogées inégalés certaines pâtisseries. Ainsi, le kouglof (kougelhof), jugé trop sec, a été arrosé de liqueur de tanaisie jaune paille, de vin de Tokay ou pinot gris, puis baptisé baba. Plus tard, dans le baba, se sont ajoutés des raisins muscats et du cédrat confit. D'aucuns ont prétendu que Stanislas 1er était édenté, que c'était en quelque sorte un « sans dents » (sans-dents) et qu'il fallait qu'on imbibât son baba pour qu'il l'avalât sans bobo (s). C'est faux !

      Stanislas 1er, père de Marie Leszczynska, reine de France, sans être éthylique, avalait chaque jour moult casse-poitrine(s) à base de quetsches, de schnaps, provoquant d'hiémaux sommeils et, sur ses joues, comme si elles eussent été frottées au cynorrhodon (cynorhodon, cynorodon), des érythèmes qu'a su restituer son portraitiste.

      Stanislas se gobergea-t-il de trop de babas alcoolisés ? Peut-être, car, un soir d'hiver, méditant près de sa cheminée, il chut sur son coccyx, ses vêtements et son corps s'enflammèrent, et il en mourut.

     Depuis, les feus Stanislas et Marie – qui inventa, quant à elle, la bouchée à la reine – brillent dans nos souvenirs, et leur créativité culinaire nous laisse babas.

Jean-Joseph Julaud

Dictée pour les nuls (allégée), donnée à Nancy le 13 septembre 2015

 

Mardi 20 Mars 2018

À fleur de peau 

On l’apprend à ses dépens: la mode est éphémère comme l’arc?en?ciel; elle se renouvelle sans cesse, telle l’hydre dont les têtes coupées repoussent aussitôt. Les tenues tendance des années soixante?dix ou quatre?vingt sont vite devenues des nippes vieillottes et surannées, ne valant plus un kopeck. D’ailleurs, quelle ex?fan des sixties conserve encore dans sa garde?robe les tailleurs?pantalons d'Yves Saint Laurent ou les minijupes à la Courrèges qu’elle avait portés? Actuellement, une femme attifée d’un chemisier à manches gigot risque fort de passer pour une dinde! Et même si le K?way se veut à nouveau dans le vent, qui s’en vêtira sans craindre de commettre un impair? Qu’on le mette en banane, et c’est la faute de goût assurée!

Chaque année, ceux qui se piquent d’être à la mode se rendent dare-dare au Salon du tatouage (Tatouage), un véritable marché à derme(s). Bien sûr, si vous défaillez à la vue d’une seringue, mieux vaut que vous fuyiez céans; c’est que l’on vous aura mal aiguillé(e[s])! Cependant, force est de reconnaître que, chez les post?ados, ces dessins façon sanguine(s) ont un profond ancrage. N’exaltent?ils pas, chez ces jeunes plutôt fleur bleue, la peinture sur soi? Le prénom du bien?aimé, calligraphié à tout jamais sous le mamelon, ne constitue?t?il pas l’écrit du cœur, une sorte de seing très privé? Mais sachez que, si vous souhaitez tatouer votre popotin, la bien nommée intervention cutanée vous coûtera la peau des fesses !

Au demeurant, pourquoi sortir de gros biffetons quand de petites coupures suffisent à Dame Nature pour apposer sa griffe? Des ciseaux ripent sur votre paluche, et vous voilà avec votre trait chair! Vous vous viandez sur une portion d grave micacée, et elle dépose sur votre joue quelques balafres rouge Carpaccio. Le rouquin, lui, bénéficie d’un grand atout: dès la naissance, éphélides ou pétéchies piquettent ses patoches; des nævi mouchettent son minois. Mais pas de jaloux! Chacun verra éclore sur sa peau ridée et tiquetée des fleurs de cimetière(s) à mesure qu’elle se fane. Car, plus on prend de la bouteille, plus on se couvre de taches de vin! Le hic avec cette artiste très nature, c’est que les tableaux qu’elle compose ne sont bien souvent que des croûtes…

Philippe Dessouliers

hydre: n.f. serpent à sept têtes

nippes: hardes, frusques, vêtements pauvres et usés

kopeck: monnaie russe, centième du rouble

manches gigot: manches longues, ajustées dans le bas et bouffantes aux épaules

seing: signature

biffetons: fam.  billets de banque

se viander: avoir un accident grave

Carpaccio: du peintre Vittore Carpaccio qui avait la particularité d'utiliser un rouge similaire à celui des tranches fines de boeuf

éphélides: taches de rousseur

pétéchies: taches cutanées rouge violacé

patoches: mains paluches

naevi: pluriel de naevus: grain de beauté

grave: n.f. mélange de cailloux, de graviers et de sable, utilisé pour la construction des chaussées

micacé: qui contient du mica

 



07/03/2018
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