AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

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Mai 2018

Mardi 15 mai

MAGNIFICAT

Le chœur entonna le Gloria, apogée triomphal du Magnificat de Bach. Soutenues par l'orchestre, les voix des différents pupitres s'entrelaçaient parfaitement.

Lorsque le concert s'acheva dans l'église abbatiale du Mont-Saint-Michel, les quatre-vingts membres de la chorale, composée de femmes portant des robes marron et d'hommes arborant des queues-de-pie noires, restèrent debout devant le maître-autel.  Les instrumentistes se levèrent ; les deux sopranos, les deux altos, les deux ténors et la basse solistes les rejoignirent pour saluer l'auditoire. Une délirante et interminable ovation s'ensuivit, presque une ola !

Après que le public fut parti, le chef de l'ensemble "Appoggiature", un personnage truculent, à l'accent méridional et au bagou(t)  nonpareil, félicita chaleureusement ses disciples et déclara "J'ai été malavisé de penser que vous vous étiez laissés aller lors des dernières répétitions".

Ces/ses propos s'adressaient surtout à quelques choristes qui, au mépris du travail collectif, placotaient parfois pendant les répétitions. Leurs jactances l'agaçaient beaucoup : malgré son apparente bonhomie, la discipline était son maître mot. Il dirigeait manu militari son ensemble  sur lequel il avait la mainmise, quoique sa dignité eût été quelque peu malmenée lors du méchoui annuel des musiciens. Ce jour-là, il avait bu force martinis et il était quasi ivre mort.  Il avait fallu lui prêter main-forte pour qu'il puisse regagner ses chers pénates.

Son laïus s'éternisant un peu, les musiciens clamèrent à la cantonade : "Ohé,  champ libre, maintenant !" Et sans plus attendre, il se précipitèrent sur le  buffet ravigotant  préparé à leur intention. Tout en boulottant de délicieux sandwich(e)s, un groupe de jeunes et jolies choristes volubiles déplora que le chef se fasse autant de "mouron" avant les concerts. Cependant,  l'une d'elles susurra que c'était surtout un macho tyrannique...

Telles sont les coulisses d'un ensemble de musiciens apparemment sans histoires. Quand on les entend interpréter superbement Bach, Haendel/Händel ou Purcell, on imagine que ce sont les meilleures gens du monde, dont les cœurs sont à l'unisson. Mais leur microcosme est un raccourci de notre société avec ses amitiés, ses joies mais aussi ses problèmes et ses fâcheux arias.

  

Christiane CISCARES (Lorient février 2018)

 

 appoggiature : Petite note d'agrément hors mesure, étrangère à l'accord avec lequel elle est entendue et sur laquelle prend appui la note principale qu'elle met en valeur

 

 

Jeudi 17 mai

Texte n.1

 

 

 

 

 

Texte n.2

Le texte qui suit est tiré du premier chapitre du roman de Didier Van Cauwelaert : JULES.

(ici, le narrateur est un homme : un marchand de macarons) 

 

Rencontre

  

Je sais par expérience qu'il faut se méfier des coups de foudre, mais je suis devenu brutalement amnésique en la découvrant au milieu de la foule. Hauts talons canari, minishort rouge et top turquoise, elle ne risquait pas de se faire écraser par temps de brume. N'eût été le labrador qui la guidait au bout d'un harnais, ses grandes lunettes noires seraient passées pour un accessoire de star soucieuse que son incognito se remarque. Les cheveux blond-roux maintenus par un chignon en broussaille, les seins libres sous la soie quasi transparente, un sourire de rendez-vous amoureux allongeant les bavures de son rouge à lèvres, c'était une aveugle particulièrement voyante qui faisait davantage envie que pitié.

Elle s'est arrêtée devant mon stand, les narines en alerte. Aussitôt, son chien s'est figé, tourné dans ma direction, et m'a fixé tandis qu'elle parlait dans le vide.

« Bonjour, je voudrais caramel fleur de sel, réglisse et fraise Tagada. Un de chaque, s'il vous plaît. »

Elle avait une voix de gamine précoce dans un corps de trente ans. Joyeuse, bien élevée, incroyablement sexy et connaissant par cœur mes spécialités. Malgré moi, j'ai béni la dégringolade sociale qui m'avait placé sur sa route. Avec un double diplôme d'ingénieur biochimiste et d'astrophysicien, je suis devenu, à quarante-deux ans, vendeur de macarons à Orly Ouest...

«  C'est fraise tout court, hélas, me suis-je excusé. »

Les lunettes noires se sont tournées dans la direction de ma voix.

« Alors on va dire : un caramel et deux réglisse pour moi sur place, et douze fleur d'oranger dans une boîte pour mon chien, c'est son parfum préféré.

«  Comment s'appelle-t-il ? »

«  Jules, a-t-elle souri en caressant le pelage couleur de sable. »

«  Tu en veux un tout de suite, Jules ? Cadeau de la maison. »

« Il ne vous répondra pas ; il est en service. »

Ma gorge s'est nouée. Ce couple indissociable qui ne ferait que passer dans ma vie m'inspirait un mélange d'exaltation et de tristesse qu'elle a perçu dans ma voix quand je lui ai demandé pardon.

«  Il le vit très bien, m'a-t-elle rassuré. Il ne mange que lorsque je lui enlève son harnais. »

 



20/05/2018
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