AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

Mai 2017

   Mardi 9 mai

Un curieux carnet de voyage

 

 

Un soir, à Damas, dans une salle de café tout enfumée de tabac à la pomme, j’attendais mon ami Ahmed en compagnie d’une dizaine d’autochtones tirant sur le bec de leur narguilé. Soudain surgit un énergumène aux bacchantes (bacantes) frisottantes frisotantes), tenant d’une main un bouclier et serrant dans l’autre le pommeau d’un impressionnant yatagan en argent. Et l’homme de se mettre à scander une longue ballade en arabe qui semblait ravir les spectateurs surtout lorsqu’il assénait à son bouclier de terribles coups à faire cracher des étincelles et vriller les tympans.

Au bout d’une demi-heure, le conteur s’arrêta et s’inclina modestement sous les vivats du public. Aussitôt je sortis de mon sac à dos mon carnet de voyage à la belle couverture en maroquin brun-rouge que j’ouvris à la page du jour et je fis signe au conteur de s’approcher. Tenant ma page d’une main, je lui expliquai, par gestes, que j’aimerais le voir la percer du bout de son sabre. D’abord sidéré, il finit par s’avancer et doucement, sans trembler, enfonça le bout de sa lame dans la page de mon carnet.

À Ahmed intrigué, j’expliquai que j’avais décidé de ne rien écrire de mes impressions de voyage mais d’y coller un « morceau » de ce que je vivrais chaque jour ; et je lui exhibai les nombreux trésors que contenait déjà mon vade-mecum.

D’abord, je lui fis écouter le sable de la plage de Patara que j’avais emprisonné entre deux pages dont j’avais collé les bords ; plus loin, ce fut une page toute fripée que j’avais trempée dans la mer au large de l’île de Kékova.

? Et cette page brûlée ? s’enquit-il en me montrant la suivante.

? Elle vient d’un petit dictionnaire français-turc. Je l’ai passée sur les flammes jaillissant d’un plateau rocheux au sud de la Turquie. Selon la légende, la célèbre Chimère cracheuse de feu vient de cette région. J’ai brûlé presque entièrement la page sur laquelle se trouvait le mot « ares » qui veut dire « feu » en turc.

Suivaient une page tachée par un kebab (kébab) et du houmous achetés au souk d’Alep, une autre avec un trou creusé par un charbon incandescent provenant du premier narguilé fumé de ma vie, puis celle où j’avais scotché le certificat d’achat d’un petit kilim chamarré, rapporté de chez les Kurdes.

¬ Et ces traces de roue, sur cette double page ?

¬ Elles me rappellent le zigoto, un tantinet maboul, qui m’a bringuebalé pendant quarante kilomètres dans son side-car. À la fin de la course, je lui ai demandé de rouler sur mon carnet.

Que tu me croies ou non, Ahmed, ce carnet je l’adore. Grâce à lui, je suis devenu ami avec de nombreuses personnes. Quand j’étais au fin fond d’un village, il était mon seul moyen de communiquer avec eux : ils riaient de mon excentricité, et si on rit ensemble, on est déjà à moitié amis.

 

D'après Eugène (écrivain suisse)

 

   Jeudi 11 mai 

Dictée n°1                                                                     Oser la différence

 

En France, je cherchais à me fondre dans la masse, à m'habiller comme les Européens pour ne pas me faire remarquer et, surtout, pour me faire accepter. Jusqu ' au jour où je participai à une photo d'étudiants. Nous étions quelque trente nageurs en maillot de bain autour d'une piscine. J'étais le seul à ne pas être B(b)lanc. Après la photo, une petite Émilie de 4 ans vint me voir. Elle me dit : « Tu es comme un grain de beauté parmi les Blancs. »

Un grain de beauté... La beauté dans la différence. Quoiqu' elle fût prononcée par une gamine, cette phrase me toucha énormément. Je cherchais à ressembler aux autres et ces mots me rappelaient à quel point j'étais avant tout un Touareg façonné par le désert, les animaux, la nature. Je pris conscience que je devais réapprendre à rester moi-même. Pourquoi tenter d'être ce que je ne suis pas ? Les grains de beauté d'un corps enrichissent son charme secret. Oser affirmer sa couleur, son âme et en être fier. Depuis ce jour, je m'habille en Touareg dans la rue – chèche bleu et boubou indigo – au gré de mes envies . J'ai découvert à quel point les autres m'acceptaient encore mieux, me reconnaissaient.

D'après Moussa Ag Assaria – Y a pas d'embouteillage dans le désert

 

 

dictée n° 2                                                                  Dans mon jardin

 

D’aucuns ont le jardin profus, comme l’est le style de certains auteurs ; d’autres font dans le dépouillé, le strict, le compartimenté. Il y a des jardins « pensés », architecturés à l’instar des jardins publics… Le mien est à la va-comme-je-te-pousse – ou plutôt comme il pousse !

L’été, il y a foule végétale en mon jardin, comme pour une grande réception, et lorsque je m’y promène en tant qu’hôtesse, je suis bien obligée d’avouer que je ne reconnais pas tout le monde !

Allez vous rappeler des patronymes comme hélianthème, œnothère, lagerstroemia… ! Ces gens-là ne pourraient donc pas s’appeler Rose, Capucine, Jacinthe, comme tout le monde ? Je vous fais remarquer que ces jolis vocables sont autant de prénoms charmants pour les filles…

Vous en voulez d’autres ? Iris, Marjolaine, Anémone, Églantine… et même pour un garçon, Narcisse… Alors que yucca, rudbeckia et rhododendron se retrouvent très peu fréquemment sur les actes de naissance !

Apportées par les oiseaux, le vent, les semelles des visiteurs, toutes ces espèces végétales venues d’elles-mêmes, dois-je les conserver comme de vrais cadeaux du ciel, ou les déraciner vite fait ?

Ainsi, j’ai un faible pour les pâquerettes – nom de fille(s) là aussi – mais j’aime également les pissenlits, tenus en horreur par le jardinier, et aussi ces menus machins bleu pâle que ma grand-mère appelait les « yeux du petit Jésus » ( d’autres ont des yeux brique : le mouron rouge ? ) J’aime aussi le chiendent – régal des chiens -, le plantain et ces graminées en forme de légers plumets : brizes, pâturins des prés … Et puis les coquelicots, ces presque disparus. Bref, tout un petit peuple de plantules dont j’ignore le plus souvent leur nom, leurs mœurs, leur faculté de se reproduire ou non, leur aptitude à transformer mon bout de gazon en prairie sauvage où le trèfle, le fameux oxalis, finit par dominer…

 Madeleine Chapsal - ( Dans mon jardin )

 

Mardi 23 mai

 

Petit(s) plaisir(s) et grand(s) bonheur(s)

 

Depuis quelques semaines, les ombelles blanc rosé des ronces en fleur augurent une cueillette généreuse. Promesse(s) de gelée(s), de coulis ou de confiture(s), les baies de la mûre (mure) à la somptueuse robe rubis sombre vous attendent, gonflées(ée) à souhait. N’ayez crainte de vous égratigner mains et poignets ! Cette saine balade dans les fourrés où gazouille le chardonneret élégant vaut bien force griffures !

Protégé(e/s/es) des UV (U.V.), bottes aux pieds et jambes et bras couverts de vêtements ad hoc, vous vous réjouissez déjà de voir monter le niveau du  pot à lait ansé de mémé. Toute la famille s'y prête volontiers. Parfois, en effet, il suffit pour les plus jeunes de se pencher à peine - et voici la petite paume chargée à ras bord(s). Les adultes, quant à eux, munis d'un croc , s'ingénient à libérer de l’inextricable hallier les grappes plus hautes ou d'accès plus malaisé. Le toutou participe, lui aussi, à la joyeuse escapade et folâtre ; il lui arrive même de débusquer les garennes assoupis. Mais gare à la vipère sournoise, à la guêpe belliqueuse ou au taon menaçant à l'orée du marais !

 La première étape consiste à détacher chaque perle gorgée de soleil de son pédoncule ténu. Pas de grignotage en chemin, votre langue en témoignerait.  Mais cette activité de plein air n'est rien, les éraflures exceptées, face à une cuisson  à l'ancienne dans l'indétrônable bassine en cuivre. Fragrance(s) soutenue(s) dans la cuisine dès la première ébullition ! Le port de gants en latex vous gardera peut-être doigts et ongles  présentables lorsque vous presserez le jus dans l'étamine de coton retors qui retiendra les akènes (achaines/achènes). Sinon, un fard améthyste résistant vous teintera les phalanges  jusqu'au repli unguéal  ! Fi de l'esthétique !

 Pour personnaliser les confituriers, vous les coifferez d'un rond de tissu découpé aux ciseaux cranteurs et maintenu par l’élastique serré,  voire  le ravissant nœud en raphia ou en bolduc. Vous créerez vos propres étiquettes, puis vous conserverez ces noir(e)s délices de nos matins chagrins dans un placard gourmand.

 Au petit(-)déjeuner et au goûter, leurs fabuleuses saveurs  aiguiseront [egize] vos papilles et  vous offrirez avec fierté, où que vous alliez, du velours au(x) palais. Pour les accros aux recettes maison, quel(s) nanan(s) issu(s) d'humbles buissons, ambroisie du pauvre, née, au dire des légendes mythologiques, du sang versé par les Titans dans leur lutte contre les dieux !  

Marie José Le Guillou, texte enrichi par Henri Le Guen et Charly Quéméneur

 (en italiques les passages pour confirmés)

 

Mardi 30 mai

Communauté de communes de Saint-Fulgent

  

La vieille servante

On vit s’avancer sur l’estrade une petite vieille femme de maintien craintif, et qui paraissait se ratatiner dans ses pauvres vêtements. Elle avait aux pieds de grosses galoches de bois, et, le long des hanches, un grand tablier bleu. Son visage maigre était plus plissé de rides qu’une pomme de reinette flétrie, et des manches de sa camisole rouge dépassaient de longues mains, à articulations noueuses. La poussière des granges, la potasse des lessives les avaient si bien encroûtées qu’elles semblaient sales quoiqu’elles fussent rincées d’eau claire. Quelque chose d’une rigidité monacale relevait l’expression de sa figure. Dans la fréquentation des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidité. C’était la première fois qu’elle se voyait au milieu d’une compagnie si nombreuse.

Gustave Flaubert, Madame Bovary

(dictée par Louis Roy - La Copechagnière)

 

Ouï dire

Il y a des verbes qui se conjuguent très irrégulièrement. Par exemple, le verbe « ouïr ». Le verbe ouïr, au présent, ça fait: J'ois... j'ois... Si au lieu de dire « j'entends », je dis « j'ois », les gens vont penser que ce que j'ois est joyeux alors que ce que j'entends peut être particulièrement triste. Il faudrait préciser : « Dieu, que ce que j'ois est triste ! » J'ois... tu ois... Tu ois mon chien qui aboie le soir au fond des bois ? Il oit... Oyons-nous ? Vous oyez... Ils oient. C'est bête ! (fin de la dictée)

L'oie oit. Elle oit, l'oie ! Ce que nous oyons, l'oie l'oit-elle ? Si au lieu de dire « l'oreille », on dit « l’ouïe », alors : l’ouïe de l'oie a ouï. Pour peu que l'oie appartienne à Louis :  L’ouïe de l'oie de Louis a ouï .  Ah oui ? Et qu'a ouï l’ouïe de l'oie de Louis ?  Elle a ouï ce que toute oie oit... Et qu'oit toute oie ? Toute oie oit, quand mon chien aboie, le soir au fond des bois, toute oie oit : ouah ! ouah !Qu'elle oit l'oie. Au passé ça fait : J'ouis... J'ouis ! Il n'y a vraiment pas de quoi.

Raymond Devos

(dictée par Micheline Baudry de Sait-Fulgent) 

 

Ma mamie

Je viens d'apprendre un truc de ouf. Vous ne savez pas quel est le loisir préféré de ma mamie ? Faire des dictées. Non mais, c'est quoi ce délire ? En même temps, elle est déjà accro au scrabble et elle ne loupe pas un épisode de Slam – là, je croyais que c'était pour Cyril Féraud  et son sourire enjôleur - . Comme je trouvais ça un peu chelou, elle m'a montré son cahier et j'ai pu constater que dans son club, ça y allait à donf. Je l'ai d'abord chambrée quand j'ai vu le nombre de fautes, mais à la lecture du premier texte, je me suis trouvé plutôt teubé. On y apprend que l'épistaxis est tout simplement un saignement de nez et que l’œnothère soignerait la diarrhée... Ringarde, ma mamie ? Pas du tout : Tous les mardis matin, elle va à son club de Pilates (pilates) avec d'autres meufs de son âge et elle est très active sur Facebook et Twitter, limite geek. C'est aussi un cordon-bleu hyper-génial : son pithiviers est vraiment trop bon. Bref, je la kif(f)e énormément. À plus !

Nanie et Dédette Allain

 Texte à corriger

 

 

 

Texte à corriger – Réponses

gris-noir : les adjectifs de couleur restent invariables et sont reliés par un tiret dès qu'il y en a plus d'un pour qualifier le même nom.

ahanait : avec un seul n.

folâtre : ne prend qu'un seul « l »... même si elle est un peu folle.

deux glanes d'aulx : il s'agit du pluriel d'ail, les glanes désignant les chapelets qu'on fait avec

quant-à-soi : rien à voir avec la conjonction de temps « quand ».

âcre : avec un accent, sinon il s'agit de la mesure de superficie.

rossinante : il s'agit, dans le langage littéraire, d'un cheval maigre et efflanqué. « Quinteuse » signifie ici capricieuse.

ô combien charmantes : c'est le vocatif « ô » qui est de mise ici.

n'en pouvait mais : de l'expression « n'en pouvoir mais », c'est-à-dire « ne plus en pouvoir ».

quelque cent mètres plus loin : ici, « quelque » fonctionne comme un adverbe et signifie « environ »

 



16/05/2017
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