AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

Jeudi 12 janvier 2022

Le caramel à un centime

Madame Rose était vieille, fripée, toute menue, ses cheveux gris tirés en un chignon sur la nuque, toujours de noir vêtue, l'air un peu ailleurs et possédant ce je ne sais quoi qui attire naturellement la sympathie. Nous poussions souvent la porte de son épicerie pour quêter quelques paroles de réconfort et, si possible, quelques friandises. Elle disposait dans sa vitrine d'énormes bocaux remplis de bonbons, de caramels et autres chewing-gums de toutes les couleurs. Elle savait que nous serions tentés, et cela seyait à son commerce. Mon dévolu s'était résolument porté sur le bocal posé sur l'étagère tout près de la porte. Là se trouvait en effet l'obscur objet de mon désir : le petit caramel à un centime qui se déclinait sous la forme d'une multitude de petits carrés enveloppés de papier aux couleurs pastel. Le seul fait d'imaginer la douceur du caramel fondant dans ma bouche m'attirait inexorablement vers la porte que je poussais avec détermination.

Extrait du livre « Paroles d'enfance »

J.P. Guéno – J. Pecnard

Des amis hauts en couleur

Hélène entra dans la ville. Au premier rond-point décoré de fuchsias zinzolin et de cannas nacarat, elle aperçut la boucherie de Pierre, un ami d’enfance avec lequel elle aimait tailler une bavette. Le magasin étant vide, il la fit entrer au salon où il lui fit admirer son magnifique Boudin acquis à un prix quasi rédhibitoire. Il avait toujours eu un faible pour cet Honfleurais aux marines évoquant les douceurs estivales de la mer. Il lui suggéra de se rendre à la sortie du bourg pour lui présenter les perles de son élevage. Il demanda alors à son épouse d’accueillir et de servir la clientèle pendant ce temps-là. À côté de l’amouillante pie-rouge broutaient un gros salers et une taure chère (chers) à ses yeux. S’ensuivit alors un véritable cours où s’étaient succédé le laguiole, le saint-marcellin, le banon à la sarriette, la cancoillotte, l’époisses et les fruitières franc-comtoises spécialisées dans la fabrication des fromages. Il annonça – fier comme Artaban – que le bœuf gras serait promené en grande pompe dans la ville lors du carnaval. De retour à la boucherie, la maîtresse de céans avoua qu’elle s’était quelque peu inquiétée en voyant s’arrêter trois cars remplis aux trois quarts de jeunes sportifs affamés. Elle les avait vus se ruer sur les pans-bagnats et les wraps au poulet. Sans nul doute, elle aurait aimé que son gent

mari fût là pour l'aider.

Au centre-ville, elle s’arrêta chez un autre ami très cher, Charles, le bouquiniste, qu’elle appelait : « Le Prince », faisant allusion au fils aîné d’Élisabeth II (Elizabeth), reine du Royaume-Uni. Médiéviste reconnu, calure confirmée, il s’était spécialisé dans la littérature du Moyen Âge : les rondeaux de Charles d’Orléans, les ballades légendaires, les rotrouenges (rotruenges) chantées ou

encore les dits familiers de Rutebeuf.

Tous les jeudi et samedi de chaque semaine, il tenait salon. « Le prince Charles » adorait lesdits dits qu’il déclamait devant un auditoire tout ouïe.

Quelque peu fatiguée, Hélène retrouva avec plaisir son appartement. En pénétrant dans l’entrée du petit immeuble, elle s’arrêta un instant devant les deux mainates encagés près de la loge du concierge. Ceux-ci lui témoignèrent un accueil plutôt réservé. Elle en conclut alors qu’ils étaient beaucoup moins aimables qu’un

ara qui rit.

Confortablement installée dans sa bergère Louis XV, elle ouvrit son courrier et fut heureuse de trouver une carte postale de son amie Dominique, en vacances à Frankfort dans le Kentucky. Cette AFAT (A.F.A.T.) passait ses vacances tous les ans aux États-Unis, profitant d’une longue perm(e) estivale.

La Dictée habarcquoise Samedi 9 octobre 2021

Christian LELIÈVRE

AFAT : Auxiliaire féminine de l'Armée de Terre