AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

Janvier 2020

Mardi 7 janvier 2020

UNE PERTE TRÈS MOMENTANÉE

Ça alors! J’enrage. Je hais ces mots qui vous fuient et qui, après s’y être plu durant des années, voire des décennies, abandonnent, hôtes ingrats, le cerveau d’un esprit fin et pénétrant, féminin de surcroît et qui ne suscite autour de lui qu’envie et murmures d’admiration. Eh oui! je suis dans la quête éperdue d’un mot et je ne saurais même pas vous le décrire en détail. De quelle piteuse carence suis-je l’innocente victime? Je l’ignore, mais ce que je sais, c’est que ce lâcheur comporte trois syllabes formées de lettres tout ce qu’il y a de plus ordinaire(s). Et moi, ingénue qui me suis toujours imaginé entretenir des liens privilégiés avec lui, je me plains et je geins, mais c’est en vain, car cela ne résout rien! Voilà dix minutes que je suis là, morfondue à l’idée qu’il pourrait ne pas me revenir. S’il s’agissait d’un de ces idiomes rares, d’un de ces esbroufeurs qui détonnent dans un texte, d’un de ces m’as-tu-vu de néologisme, de ces termes tarabiscotés du jargon médical ou botanique tels que bilharziose ou mycorhize, incompréhensibles du simple pékin (péquin) et qu’on ne rencontre que dans les dictées à la Mérimée, expert reconnu s’il en fut, je n’éprouverais aucune honte. Mais je sais que, ni maître(-)mot ni mot(-)clé, il fait partie des mots tout bêtes qui sont légion et qui n’ont l’air de rien, des mots passe-partout, des mots du tout-venant, de ces mots qu’on côtoie tous les jours, que tantôt on rudoie, tantôt on choie, qu’on croit avoir apprivoisés et dont on s’imagine s’être fait des amis une fois pour toutes. Funeste présomption! Il m’a plantée là et je me suis retrouvée devant un trou béant dans mon vocabulaire. A présent, toutes sortes de questions m’assaillent. Ce mot est-il encore en moi? S’il l’est, dans quel antre obscur de mon inconscient est-il tapi? Ce traître se réjouit-il de mon désarroi? S’est-il senti exclu? Ou m’a-t-il déjà quittée pour des neurones plus agiles qui le feront res(s)urgir plus souvent qu’à son tour ?

(Début de la dictée des juniors)

Est-il parti de son plein gré? On l’aura soudoyé, c’est sûr. On lui aura promis de figurer dans le titre du prochain Goncourt. Et ce dadais se voit déjà fanfaronner dans les librairies, plastronner sur les plateaux de télévision et étaler ses trois pitoyables syllabes étiques sur maints panonceaux et affiches. Ah! le faraud! Qu’ai-je fait à ce gougnafier pour être ainsi malmenée? Me serais-je laissé(e) aller à lui accoler des épithètes indues ou incongrues? L’aurais-je étourdiment maltraité en lui adjoignant des mots qui avaient mauvais genre? Je ne nie point que son usage requière quelques précautions, mais je suis sûre de l’avoir toujours traité avec égard(s). L’ai-je suffisamment sollicité? Je n’aimerais surtout pas qu’il croie que j’ai voulu le mettre au rancart. Si je le retrouve, je me vengerai, je l’emploierai à tort et à travers, à contretemps et à contresens. Je le ridiculiserai, plus personne ne voudra de lui. Il sera la risée de tous les dictionnaristes. Réduit à n’être que le Robinson Crusoé des mots, il cessera rapidement d’être un mot. Il aura beau exciper de ses nombreuses acceptions, arguer de son étymologie, fût-elle gréco-latine, et alléguer les services rendus aux belles-lettres, il sera voué à la disparition. Je resterai inflexible et pas question pour moi d’entonner des r(R)equiem pour honorer sa mémoire. Mémoire! Tiens! Le mot que je cherchais.

Texte de F. KLOTZ

Jeudi 16 janvier 2020

Texte n.1

Le ciel étoilé

Quelles délices j'ai goûtées chaque fois que j'ai contemplé le ciel étoilé ! Je n'ai pas fait, je crois, un seul voyage ni même une simple promenade nocturne sans payer le tribut d'admiration dû par toute âme sensible aux merveilles qui se déploient au firmament. Tout impuissante qu'est ma pensée, dans ces hautes méditations, je trouve un plaisir, une jouissance inexprimable à m'en occuper ; le spectacle de ces astres roulant dans l'immensité me convainc que ce n'est point le hasard qui conduit jusqu'à mes yeux cette émanation des mondes éloignés, et chaque étoile verse avec sa lumière scintillante un rayon d'espérance dans mon cœur.

Eh quoi ! Ces merveilles n'auraient-elles aucun autre rapport avec moi que celui de briller à mes yeux ? Ces millions d'astres parcourraient la voûte des cieux et chanteraient dans l'infini leur hymne solennel à la Divinité sans que leur voix éveille en mon âme les résonances vibrant à l'unisson ?

Spectateur éphémère d'un spectacle éternel, l'homme lève quelques instants les yeux vers le ciel, et les referme pour toujours ; mais pendant ce peu d'instants qu'il a vécu, de tous les points du ciel et depuis les bornes de l'univers, un rayon consolateur part de chaque monde, et vient frapper ses regards pour lui annoncer qu'il existe un rapport entre l'immensité et lui, et qu'il est associé à l'éternité.

D'après Xavier de Maistre

 

Texte n.2

Remède

Mes grands-parents ont cessé d’être hypocondriaques lorsqu’ils ont découvert la phytothérapie, qui est une manne de ressources naturelles pour maintenir une bonne constitution. La chélidoine, une plante vivace, s’avère être une vraie panacée capable de ramener la santé, la vie et la jeunesse aux vieillards les plus chétifs, et même aux moribonds. Elle guérit le cancer, les fistules, les fièvres putrides et toutes les maladies similaires ayant leur origine dans l’obstruction du foie et de la rate. C’est certainement le meilleur remède hépatique. À l’instar de la camomille et de l’aigremoine, la chélidoine a aussi des effets appréciables contre l’hydropisie, la goutte et les rhumatismes. Mon grand-père en prend régulièrement pour calmer son arthrite. Depuis, on dirait qu’il a trouvé une véritable fontaine de jouvence. Il a même commencé à consommer du muguet et de l’ortie pour combattre son impuissance. Incognito, ma grand-mère remplace ces deux ingrédients par la passiflore. Ce placébo (placebo) lui assure que son cher époux ne soit pas insomniaque.

Marie-Josée Roch

 

Mardi 21 janvier 2020

 

Le cancre nostalgique

 

Enfant, j’aimais les dictées car j’étais un cancre en orthographe. Pas un minable petit cancrelat à la faute étriquée, mais un cancre de haute volée, indécrottable. Un prince de la conjugaison de travers, le roi de la grammaire en biais, le pape de la bulle. Je réussissais un nombre de fautes à faire pâlir les pages rose saumon du dictionnaire. Je collectionnais les zéros. Je m’en faisais des colliers d’anneaux scintillants. Ne me plaignez pas. J’étais heureux. C’était le temps béni où il suffisait de cinq fautes pour toucher le Graal : le zéro !  À partir de six, c’était du gâchis, de la faute à fonds perdu. Ma bulle papale n’était pas plus ronde ni plus dodue. Alors, pourquoi se priver ?  (Fin de la dictée des cadets)  Face à ce barème soi-disant empreint de rigueur et d’équité, mais, disons-le franchement, plutôt inepte et décourageant, ma tactique était limpide et dépourvue de faux-semblant : atteindre avec célérité, dans les meilleurs délais possible, le zéro rêvé, afin d’être débarrassé de cet amalgame de maux sans remède qu’on nomme dictée et me consacrer au texte qui me cause à l’oreille.  Car, sans désir d’aucune controverse inutile ni esclandre superflu, je rappelle qu’une dictée, quelle qu’elle soit, est d’abord un texte à rêver qui nous emmène en balade bucolique éphémère pour laisser libre cours à notre imagination.  (Fin de la dictée des juniors) Il nous élève au-dessus de la glu visqueuse d’une grammaire peuplée à nos dépens de succubes désenchantés, de monstres irascibles à la gibbosité purulente, d’accords du participe à scoliose, de conjugaisons à cyphose qui faisaient souffrir le martyre à mon corps de cancre valétudinaire rendu à une flaccidité proche de l’état aqueux. Tandis que je rêvais, les fautes pullulaient et la note zéro tombait au champ d’honneur telle qu’un hoplite égaré, victime d’une guerre picrocholine. Mais tout cela n’est plus que vaticination et ratiocination caduques. La faute est morte, vive l’erreur ! La correction positive en lieu et place de la bulle de l’ilote. La dysorthographie plutôt que l’impéritie, le dithyrambe plutôt que la diatribe. Soit, mais sans vouloir manifester d’éréthisme de mauvais aloi, que d’aucuns diraient captieux, à l’égard de la faute, je conçois une nostalgie immarcescible pour ce collier de rêves que les zéros d’antan passaient à mon cou.

Daniel Piccouli

(Les timbrés de l'orthographe 2014)

 



08/01/2020
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 24 autres membres