AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

Janvier 2017

Mardi 10 Janvier 2017

 

Le cercle des potaches disparus


    Où s’arrêtera la télé-réalité(téléréalité)? Après nous avoir cloî(i)trés dans un loft dont seule la piscine ,ou plus exactement ce qui s’y traficotait, échappait aux longueurs; après avoir transformé le plus pantouflard des téléspectateurs en Robinson Crusoé, en l’abandonnant chaque vendredi aux iguanes, sur un î(i)lot truffé de caméras; après nous avoir fait pousser la chansonnette en compagnie de soi-disant stars, soupirer après les faveurs d’un fringant millionnaire, coucher avec les poules d’une ferme d’opérette que peuplaient surtout des »has been »,voilà qu’elle entreprend de ressusciter l’école de nos arrière-grands-mères! "Le pensionnat de Chavagnes" ,ça s’appelle…et ça cartonne à l’audimat !

      Sauve qui peut ! Voici revenus la blouse grise, le bonnet d’âne et ,brochant sur le tout ,la gouleyante huile de foie de morue….Le double décimètre aussi ,qui ,vu sa propension à s'abattre sur les phalanges ,incitait à marcher plutôt qu’à tirer droit .Sans compter cet infâme plume dont on gratifiait les pensionnaires ,et qu’il valait mieux faire au carré. Ni ces casse-tête qui enjoignaient de vider des baignoires -par bonheur les jacuzzis n’existaient pas ! - ou d’évaluer ,à cinq dixièmes de seconde près ,l’heure à laquelle se croiseraient des tortillards qui n’avaient rien de trains corail. Au demeurant le martyre absolu ,plus terrible que le crucifiement, l’écartèlement et la décollation réunis, restait la dictée.    

       En l’occurrence, la télé n’a pas innové : cela fait des lustres que sévit le pensionnat de Nivelles! Certes, quelque tarabiscotées qu’y soient les figures imposées, on n’en occupe pas les carrées. Certes, les tabliers vintage n’y ont jamais eu cours… mais combien viennent s’y faire régulièrement blouser? Si dans ce S(s)aint des S(s)aints, le bonichon susdit ne trouve guère preneur-on oit forcément chez ces cracks, moins de hi-han (hihans)que d’ahans -il se trouve toujours quelqu’un pour braire contre l’imbécil(i)ité du barème.Quant aux gades que nous avons évoqués ci-dessus, avouez que leur huile ne saurait décemment provoquer autant de haut-le-coeur que ce bouillon d’onze heures …du matin ! 

Bruno Dewaele

(Dictée de Nivelles 2004)

 

 

Jeudi 19 Janvier 2017

 

     Puisque vous le désirez, mademoiselle la curieuse, vous allez avoir la description des toilettes que j’ai remarquées à la noce ; vous me prouvez que vous êtes bien fille d’Ève, car la question des chiffons a pour vous beaucoup d’attrait.

Amélie et sa sœur avaient des robes rose tendre ornementées de nœuds roses. Tout le monde admirait ces deux jeunes filles aux cheveux blonds, aux yeux bleus et bleu foncé. La vaporeuse Sylvie aux yeux bleu clair, aux cheveux blond cendré portait une robe de gaze de couleur de chair, - la couleur de chair est en vogue en ce moment ; tout, dans sa personne, était en parfaite harmonie. Louise et Eugénie, les deux charmantes brunes aux yeux noirs, portaient des robes de soie gorge-de-pigeon qui leur seyaient à ravir ; sous leur chapeau à rubans rouge cerise, leurs superbes cheveux châtains et châtain clair ressortaient à merveille. Pauline avait des nœuds jonquille et orange à sa robe et des rubans paille et aurore à son chapeau. Les messieurs avaient généralement l’habit noir classique, les gants blancs ou jaune serin ; quelques élégants portaient des habits bleus à boutons d’or. […]

    Un écrivain a dit : le sage s’habille, le fat se pare. Soyons sages, habillons-nous avec goût, mais ne nous parons pas. Une personne raisonnable se met selon son âge, sa fortune, sa condition ; elle suit la mode d’un peu loin et rejette les excentricités.

 

C. Juranville, Dictées curieuses, 1896

 

 

 

 

Réponse au discours de réception de M.Andreï Makine à l'Académie française – 15 déc. 2016

 

 

 

Monsieur,

 

 

 

   Vous avez eu la chance de naître et de grandir au cœur de la Sibérie, la chance de subir, dès votre plus jeune âge, les agressions du climat, les morsures du froid polaire, les rafales glacées qui brûlent les doigts et lacèrent le visage, « la mitraille des flocons ». La chance, dis-je, car vos premiers livres ont été nourris de cette expérience meurtrière qui aurait abattu un caractère faible, mais, de vous au tempérament exceptionnellement fort, a fait d' emblée un écrivain. []

 

   Quiconque connaît un peu la Russie sait à quel point ce pays est calomnié dans nos médias. La désinformation est systématique. On ne parle que mafia, corruption, nouveaux riches. Certes ces plaies existent. En sommes-nous exempts nous-mêmes ? Et puis, quelle prétention que de vouloir appliquer le modèle démocratique de notre société à un pays trente et une fois grand comme la France où l'on change sept fois de fuseau horaire entre Moscou et Vladivostok, où le thermomètre passe en une seule nuit de plus quinze à moins quinze degrés. Il y a pour nous attacher à la Russie la générosité incroyable de son peuple. []

 

   Mais comment, dans cet après-guerre retentissant des gémissements de la tragédie, sous la dictature brejnévienne qui vouait aux gémonies l'Occident bourgeois, au fond de votre Sibérie séparée de Moscou par quatre mille kilomètres et de Paris par plus de six mille, comment la France est-elle parvenue jusqu'à vous ? Et comment, surtout, la langue française vous a-t-elle rejoint et envoûté au point de vous décider à en acquérir une maîtrise qui nous remplit de stupeur et d'admiration. Vous êtes le premier et le dernier Soviétique à entrer dans notre Compagnie. [...]

 

Vous êtes un amoureux de notre langue, vous avez ressuscité d'anciens mots oubliés tels  « estran », partie du littoral alternativement sèche et baignée , « matras », vase au col long et étroit employé en alchimie, « sirventès », poème moral et satirique, « chitineux », pour désigner la membrane des insectes. [...]

 

En vous aussi, nous reconnaissons, Monsieur, qui incarnez si bien votre patrie, cet indicible, ineffable supplément d'humanité qui mérite de s'appeler d'un vocable dépourvu absolument de mièvrerie mais chargé au contraire d'une saveur ô combien épicée : le charme russe.

 

M. Dominique Fernandez

 

 

 Mardi 24 Janvier 2017

Les mystères de la nuit

   Dès que la nuit est tombée et que les ténèbres se sont épaissies autour d'elles, certaines fleurs, telles que les crocus, les belles-de-jour et les nénuphars, ont refermé en catimini leurs jolis pétales en attendant le matin. Quand le marchand de sable a déclenché les bâillements, le picotement des yeux et la somnolence si douce à chacun, les enfants se sont emparés d'une poupée ou d'un nounours, ils ont abandonné leurs soucis au pied du lit avec leurs pantoufles et se sont laissé doucement emporter dans les bras de Morphée.

   C'est alors que commencent les bizarreries de la nuit : les cauchemars, les pleurs inexpliqués, le somnambulisme et les insomnies, sans oublier bien sûr les ronflements sonores perçus comme de délicieux ronrons ou d'insupportables cacophonies. La nuit, on a souvent des idées brillantes qu'on n'aurait pas eues pendant le jour. Aussi les insomnies, quand on ne les craint pas, peuvent-elles être des alliées : bon nombre d’œuvres d'art ou de découvertes scientifiques sont nées la nuit grâce à elles.

   Si vous voulez à tout prix vous rendormir, pour vous reposer des efforts qu'aura nécessités cette dictée et effacer le peu d'anxiété qu'elle n'aura pas manqué d'ajouter à vos vicissitudes, faites donc comme les Papous : chatouillez-vous l'intérieur du nez avec du duvet pour éternuer. Il paraît que le sommeil arrive automatiquement au cinquième éternuement.

   À vos souhaits et … bonne nuit.

 

les ténèbres : nom féminin pluriel

se sont épaissies : dans le cas d'un verbe accidentellement pronominal, il faut raisonner comme si l'on avait affaire à l'auxiliaire « avoir » et rechercher le COD (ont épaissi qui ? elles, les ténèbres)

elles : s'accorde avec « certaines fleurs »

telles que : s'accorde toujours avec le nom qui précède (les bêtes féroces telles que le lion, le tigre) par contre, tel s'accorde avec le nom qui suit (telle chose)

belles-de-jour : liseron ; dans les noms composés, belle prend toujours la marque du pluriel (les belles-mamans, les belles-de-nuit)

en catimini : locution adverbiale : en cachette

jolis pétales : pétale, nom masculin

se sont emparés : verbe s'emparer essentiellement pronominal, le participe passé s'accorde en genre et en nombre avec le sujet : les enfants

se sont laissé emporter : participe passé suivi d'un infinitif. L'accord a lieu si le COD étant placé avant le participe fait l'action exprimée par l'infinitif. Dans ce cas le COD se, mis pour les enfants, ne fait pas l'action d'emporter donc : laissé

Morphée : dans la mythologie grecque, Dieu des songes, fils de la nuit et du sommeil

bizarreries : bizarre

cauchemars : ne prend pas de d final comme le laisserait croire « cauchemardesque »

ronrons : en un seul mot

cacophonie : (du grec kakos, mauvais et phônê, voix) nom féminin

eues : le participe passé des verbes conjugués avec « avoir » s'accordej en genre et en nombre avec le COD placé avant : on n'aurait pas eu quoi ? des idées, le mot est placé avant, donc eues

nécessités : aura nécessité quoi ? des efforts, placé avant, donc és

vicissitudes : (latin vicissitudo) nom féminin surtout pluriel, événements heureux ou malheureux qui affectent la vie, en particulier malheureux (les vicissitudes de la fortune)

Papous ou Papoua : peuples mélanésiens et malais-polynésiens

paraît : du verbe paraître qui s'écrit avec un accent circonflexe devant un t. L'accent circonflexe sur le « i » ou sur le « u » n'est plus obligatoire depuis la réforme de l'orthographe, avec les exceptions suivantes : verbes conjugués au passé simple ou à l'imparfait du subjonctif, distinction de sens (mur, mûr, sûr, sur etc.)

éternuement : du verbe éternuer ; ne pas oublier le ue

 



11/01/2017
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