Février 2020
Jeudi 6 février 2020
Cher José,
En suivant tes pertinentes exhortations, j'ai commencé le recyclage et la « chasse au gaspi » d'énergie de notre épave thermique (j'ai appris que l'on nommait ainsi les vieux appartements comme le nôtre, où l'on ne risque pas de mourir d'une intoxication au monoxyde de carbone, tant il est mal isolé) .
Ce week-end, j'ai réaménagé notre appartement et j'ai installé dans ma cuisine (je te jure que c'est du plus bel effet) quatre poubelles pour le tri :
Une verte pour le verre.
Une jaune pour le plastique et le papier.
Une noire pour les déchets organiques.
Une rouge pour ceux ne pouvant être triés.
J'ai affiché des aide-mémoire(s) sur chacune afin d'éviter les méprises et équivoques qui entraîneraient notre famille dans des polémiques infinies . Subséquemment, je dois avouer qu'il est assez difficile de savoir dans laquelle jeter, par exemple, la pizza de chez Z. Va-t-elle dans celle du plastique ou dans celle des déchets organiques ? Pareillement, je me suis retrouvée en train d'hésiter avec les couches de Benjamin. (Celle des déchets organiques ne me semblait pas adéquate, des fois qu'ils recyclent...) J'ai rajouté une poubelle marron. Puis François a fait la connaissance d'une poule. Les poules adorent les coquilles et les huîtres (surtout quand elles contiennent des perles constituées de nacre irisée), et nous avons décidé de diviser celle des déchets organiques. Nous avons donc complété notre centre de tri avec une poubelle or « spéciale poule », une violette pour les déchets organiques humides, une grise pour les secs, une marine pour les azotés.
Remplir les poubelles ne pose pas de problème, mais les évacuer... c'est une autre paire de manches. Nous avons dû annuler nos abonnements à nos clubs de randonnée le dimanche et nous consacrons désormais celui-ci à aller vider les poubelles dans les conteneurs, étant donné qu'ils ne sont pas regroupés et que trouver ceux qui ne débordent pas nous prend la journée.
Imagine-toi que, mardi dernier, j'avais oublié d'enlever le bouchon en plastique d'une des bouteilles de verre avant de la jeter ? Je me suis donné à moi-même une punition : dire trois « Je vous pollue Paris ».
Nous essayons de suivre tes conseils à la lettre, mais c'est moins aisé que dans ta métairie.
P.S. : comme la cuisine fait six mètres carrés toute mouillée, j'ai dû mettre le frigo, la machine à laver la vaisselle, le micro-ondes et trois poubelles dans la chambre d'amis. En conséquence, on ne pourra plus vous héberger quand vous viendrez à Paris.
Ton amie Cécile
Jean-Loup Chiflet
Mardi 11 février
Le pot de terre et le pot de fer
D’après La Fontaine
Dans une maisonnette de plain-‐pied assez douillette quoique le décor semblât des plus banals, se
trouvaient depuis des lustres deux pots, l’un délicat et falot, l’autre baraqué et faraud. Celui-‐ci, un pot
de fer, vivotait sous un grabat, las de n’avoir pour tout environnement qu’un vieux châlit,une sorte de
châssis de bois miteux que des termites affamés s’acharnaient à ronger avec gloutonnerie. À peine
pouvait‐il s’aérer quelques instants à la fenêtre le matin quand, à demi plein, une femme plutôt boulotte
le vidait d’une substance aqueuse jaune ambré qu’il avait accumulée nuitamment. La matrone, qui
dormait là – ses ronflements tonitruants l’en attestaient –, adorait tant son jules qu’elle ne l’eût jamais
quitté, lui eût-on offert à la place une jolie jatte de porcelaine caraque.
Mais notre récipient en avait ras le bol de végéter ainsi en vase clos sous le paddock. Il trouvait sa
piaule si terne qu’il ne songeait qu’à découvrir Pau et son gave, et même l’ultramontain Pô. Estimant
la coupe pleine, il héla son voisin, le pot de terre, constamment occupé à jouer les potiches sur un
escabeau tripode. Il lui proposa de dérouiller leurs guibol(l)es puis de partir à l’aventure pour faire
les quatre cents coups. Mais le pot d’argile jaunie jugea les propositions bidon, voire risquées. Le
croyait‐il cruche ou sot ? En effet, comment trouver son chemin, quand ces deux‐là ne s’étaient
jamais servis de l’étoile Polaire ni de la Grande Casserole pour se diriger ? Et, sans aucuns papiers,
ne se feraient-ils pas coffrer par les cipaux ?
Mais cette espèce de jale têtue persuada son acolyte qu’elle le secourrait en cas de danger létal. Et
voilà les deux potes, l’un en fer-blanc, l’autre en sil ocré, partis de conserve, anses dessus dessous.
Ils entrèrent tout de go dans la première gargote venue et entre pots s’enivrèrent en cinq sec. Mais
quand ils trinquèrent derechef avec un brusque tchin-tchin, nos poteaux noirs s’entre-heurtèrent si
brutalement que, celui en terre, cuit, se brisa en mille morceaux en criant mais un peu tard : « Que
ne fus-je un grand pot lithique ? »
Moralité : ne vous associez qu’avec vos pairs, sinon craignez que ce ne soit vous qui payiez les pots
cassés !
© 2018 Philippe Dessouliers
Mardi 25 février 2020
L’ennui de la lecture
Longtemps, je me suis couchée de bonne heure… pour dormir ? Que nenni : pour lire ! À l’heure où certains se seraient bu une tasse de thé aux effluves parfumés en n’y trempant qu’une demi-madeleine tout humide, moi, j’ai déjà attrapé un bouquin sur mes piles anarchiques (oui, une quasi-syllogomanie me pousse à faire le coup des tas). Tout m’y agrée : un pavé de Chateaubriand (quels magnifiques mémoires* écrivit-il !) ; les robinsonnades d’un Daniel Defoe*, dans lesquelles, chaque soir, j’attends patiemment Vendredi ; ou les nouvelles de Maupassant que hantent les schizophrènes, à moins, bien sûr, que j’aie du Poe. Et voilà : tout à coup, je me suis mise hors de ce monde, en mode lecture…
Mais sitôt la page deux cent commencée (la même qu’hier soir, en fait), les phrases s’entremêlent, les espaces entre les mots se sont évanouies et, quelques secondes plus tard, mes yeux bleu-noir se closent malgré moi… Le réveille-matin tintinnabule soudain – oh ! la vache ! –, me meut et me convainc presque, du fond de mon coaltar, que j’ai fait un rêve, ou plutôt un cauchemar : il est sept heures et demie !
Y a-t-il pathologie plus terrible que cette narcolepsie livresque ? C’est moi, l’hypersomniaque accro aux livres*, qui dors dès les premières lignes, alors que tant de bonnes gens privés de sommeil trouvent les classiques rasoir et barbants – un paradoxe pile-poil, pour ainsi dire !
Longtemps, je me suis couchée de bonne heure, certes ; arriverai-je un jour, néanmoins, à finir cette auteure* que j’aime tant, vieux croûton* selon certains, mais Dupin bénie par moi… George Sand ?
* Variantes acceptées : Mémoires – De Foe – au livre – cet auteur – crouton
Julien Soulié
Dictée de Beaumont-sur-Oise – Nuit de la Lecture 18 janvier 2020
Texte relu (sans somnolence !) par Bruno Dewaele et Philippe Dessouliers
Pour une peccadille – cinq kopecks environ – un académicien nietzschéen, acoquiné avec une accorte oculiste, acheta dans une brocante une vieille ordonnance qui portait un sceau, en l'occurrence, celui de Louis XIV. Sa compagne vêtue d'un anorak, préférant acquérir un ocarina et un sceptre en acacia, régla d'un acompte avant d'aller jouer au poker pour essayer de payer le tout.
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