AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

Mardi 14 décembre 2021

La dictée de Noël

Cher Lapin de Pâques

Cela fait belle lurette que nous ne nous sommes pas téléphoné et les dernières lettres que nous avons échangées remontent à quelque temps déjà. Cette saison n'est pas une sinécure et les ballotins de chocolat(s) vides s'amoncellent sur ma paillasse. Mais il s'en est fallu de peu qu'un évènement subit annulât les festivités. L'eusses-tu cru, au moment le plus inopportun, mes lutins se sont mis en grève ! J'entends encore les doléances et les exigences dont l'atelier a résonné durant leur débrayage. De la bouche de leur héraut, j'ai appris qu'ils étaient soi-disant bien mal traités, harassés et même tout flapis. Je n'ai néanmoins pas saisi pourquoi ils s'étaient comparés à des Amazones qui, semble-t-il, préparent sans répit les colis des humains à une cadence effrénée. Puis ils se sont servi un grog dont les effluves sucrés de cannelle ont embaumé la pièce tout entière et ont convenu d'un sit-in.

Imagine-toi ce fatras de cadeaux qu'il eût fallu façonner seul : j'aurais souffert le martyre ! Et qu'aurais-je fait de ces cadeaux sans personne pour les emballer et les enrubanner ? Des trottinettes à foison, tout le nécessaire pour les inimaginables passe-temps et violons d'Ingres de chacun, les innombrables joujoux en plastique aux couleurs détonnantes... et les pétards détonants! C'eût été une infamie que de devoir annuler Noël ! Et puis, quelque stricts qu'aient pu être leurs desiderata, il n'y avait rien d'exorbitant. Quoi qu'il en fût, en mon for intérieur, je savais bien que sans eux je ne serais qu'un pauvre hère qui s'orne de vêtements rouge et blanc à chaque réveillon... Alors j'ai exhaussé leur établi pour leur éviter les lumbagos, j'ai rafistolé les loupiotes clignotantes des guirlandes, j'ai renouvelé leur matériel depuis trop longtemps décrépit et je leur ai donné un blanc-seing pour l'organisation. Depuis, leur ballet tintinnabulant a repris dans l'atelier.

Quant à moi, je me prépare pour ma tournée. Je quitterai mon repaire – le seul sur Terre qui connaisse encore l'ère glaciaire-, j'agripperai fermement les rênes sur le chemin cahoteux puis le traîneau s'élèvera parmi les nues. Je serai peut-être un peu ballotté par les vents, mais je visiterai toutes les maisons de plain-pied, les cahutes, tous les appartements, les gourbis et les galetas. Je me glisserai dans les cheminées mal ramonées ou entre deux vantaux et je dégusterai le verre de lait – j'aurais préféré un grand cru récolté à flanc de coteau mais pas d'alcool en conduisant ! - et les biscuits qu'on m'a laissés. Pas de quoi faire bonne chère, mais ça requinque ! Deux milliards deux cents millions trois cent quatre-vingt-six mille sept cent deux enfants à qui rendre visite, sacré défi ! Mais ce Noël, je déposerais bien aussi quelques cadeaux aux adultes... Il paraît que l'année a été rude...

Amandine Sourisse