AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

Décembre 2016

Mardi 6 décembre

 

 

UNE DICTÉE d'ENFER

 

Des remords plein la tête, te voilà devant l'immense portail qui s'entrouvre lentement. Tu hésites puis, sans te retourner, tu le franchis. Aussitôt des diablotins t'arrachent ta montre et la piétinent dans un concert de ricanements, car ici le temps n'est plus et n'est plus temps. Il n'y a plus d'avant, il n'y a plus d'après, il n'y a plus qu'un présent qui sera éternel, car le royaume de Belzébuth est aussi celui de Sisyphe : tout n'est que recommencement. Tu avances de quelques pas, c'est le choc : à tes pieds, en contrebas, un fourmillement infini. Pullulent, sous tes yeux effarés et dans un silence de mort, les criminels, les coléreux, les envieux, les orgueilleux, les paresseux, les avaricieux, les luxurieux et les gourmands, tous en nombre sans cesse croissant. Toi, étreint par l'angoisse et rongé d'attrition(s), tu es en pleine déréliction. Quel sera ton sort ?

As-tu été gourmand, tu assisteras, bâillonné et lié à ton siège, à la présentation par d'accortes démones court-vêtues d'une profusion de mets affriolants tels ceux du festin des mercenaires que décrit Flaubert dans Salammbô. Toi, affamé, tu es dévoré de tentations. Dommage ! Nouveau Tantale, tu ne mangeras plus jamais. Luxurieux et concupiscent, c'est sans cesse que tu couvriras de repeints les nudités des napées et des putti produits à la chaîne par de petits maîtres, jadis invétérés plagiaires. Envieux, tu composeras un virelai ou une villanelle ou encore une ballade en vers (h)olorimes à la gloire de Crésus, À peine auras-tu composé ton poème qu'un succube au dos gibbeux surgira, le lacérera d'un coup de fourche et tu recommenceras. Avaricieux, tu jetteras sans cesse des poignées de souverains, de napoléons et de vrenelis dans un four géant d'où s'écoule une pâte bouillonnante que lapent à genoux d'ex-harpagons penauds, sous l'œil morne des orgueilleux, condamnés, eux, à la reptation perpétuelle. Paresseux ou adepte du nonchaloir, tu haleras d'énormes blocs de porphyres pour ériger une espèce de ziggourat akkadienne dédiée au stakhanovisme. À peine achevé, l'édifice s'écroule et tu recommences. S i tu as été un être coléreux, des diablesses mafflues aux manières de virago(s) te frictionneront continûment à l'aide de glaçons : version infernale de la cryothérapie. Et quelle qu'ait été ta faute, quelque grandes que soient tes velléités de résipiscence et quelques vraies marques de repentir que tu manifestes, tu n'auras qu'une seule et pauvre distraction : regarder passer l'interminable cortège d'individus bêlant et se mignotant. Des déments ? Non, les criminels, contraints de feindre la douceur des agneaux.

 

 

Jeudi 8 décembre

 

dictée n°1- ( donnée aux jeunes, au Printemps du Livre de Montaigu – avril 2016 )

 

On m'appelle l'accent circonflexe. Ne me prenez pas pour un accent de cirque complexe.

 Vous me reconnaissez à mon chapeau de lutin. Je virevolte gaiement et ce n'est pas par hasard que je me pose dans vos textes où je rencontre mes potes les accents aigus et graves. Avec les trémas, nous formons une joyeuse famille.

 Mais depuis peu, je suis malmené, j'apprends que je serais menacé d'expulsion. Que vais-je faire ? Quelle est ma destinée ? Je ne sais plus si je dois me présenter sur la pêche, la crème fraîche, la crèche, la cpe, l'arête, le poème. Ma présence est-elle due dans château, râteau, gâteau, poteau, rameau ? Si un jour je dois disparaître à jamais, dites-moi quel effet fait-ce et jusqu'où mes potes iront !

 

J.Paul Gautier

 

 

dictée n°2   Une étrange disparition

 

Elles s'étaient crues longtemps insoupçonnables, mais c'était sans compter sur la perspicacité du sacristain et du curé qui s'étaient juré d'élucider ce mystère avant Noël.

 Depuis la disparition, à la mi-mai, le village était en émoi. Toutes les bâtisses, tous les appentis, tous les recoins avaient été passés au peigne fin. Marie fut retrouvée la première, dans la maie d'un fournil désaffecté, camouflée sous des ballots de vieilles frusques. La colère s'était vite emparée de la communauté tout entière lorsqu'on découvrit, dans un pressoir à olives, un berger décapité, et au bord de l'auge de pierre, le divin enfant baignant dans l'huile.

 Qui, parmi les paroissiens, avait pu perpétrer impunément un pareil sacrilège ? Tous s'étaient offusqués et avaient participé assidûment aux recherches. Mais, avec le temps, les regards s'étaient faits désobligeants, les apartés s'étaient multipliés, les critiques acerbes et provocantes avaient même fini par jeter la suspicion sur les culs-bénits, les cagots et les bigotes.

Le bedeau eut la révélation quand on trouva saint Joseph, dans un hallier, le visage et les mains badigeonnés à la chaux.

Quelle idée saugrenue avait eue Monsieur le curé de se mettre à l'heure africaine après le jumelage avec Yamoussoukro. Le futé marguill(i)er comprit que les deux sœurs traditionalistes endurcies et nationalistes de surcroît étaient les seules à avoir pu commettre l'infâme vandalisme. Elles n'avaient jamais accepter qu'on travestît en Noirs les personnages de la crèche.

 

Dictée donnée aux Herbiers en mars 2009

 

 

Commentaires sur les dictées

gaiement : adverbe formé sur le féminin de l'adjectif « gai »

hasard : se termine par un « d »- il donne l'adjectif « hasardeux »

un pote : c'est l'abréviation de « poteau » : ami fidèle sur lequel on peut compter.

C'est un mot du vocabulaire familier – un camarade, un copain

mes potes iront : jeu de mots de l'auteur de la dictée. Il serait malvenu d'écrire « potirons »

fournil : le « l » final ne se prononce pas, comme dans fusil, coutil, outil, goupil...

camouflée : aucune consonne doublée

un aparté : mot masculin. Faire des apartés = dire des messes basses

les culs-bénits, les cagots, les bigots : mots synonymes pour désigner des personnes qui manifestent

une dévotion outrée ( grenouilles de bénitier, punaises de

sacristie

un hallier : est un groupe de buissons serrés, touffus ; un fourré

un marguillier (ou marguiller depuis la R.O.) : vieux mot pour le sacristain, le bedeau

traditionaliste, nationaliste : ne prennent qu'un « n »

fait-ce : L'auteur de la dictée fait un jeu de mots ; en aucun cas il ne faut écrire « fesse » ;

fait-ce = cela fait

due : le participe passé « dû » du verbe « devoir » ne prend un accent circonflexe que lorsqu'il

est employé au masc. sing.

Je serais (et non : je serai) : Il s'agit du Conditionnel présent qui évoque une situation ou un fait

qui peut arriver, mais rien n'est sûr... C'est une hypothèse.

s'étaient offusqués, s'étaient crues, s'étaient emparées, s'étaient multipliés, s'étaient faits :

Ce sont tous des verbes pronominaux, leurs participes passés s'accordent car, pour tous, le COD est placé devant ; c'est le pronom « se (ou s') qui précède et ce pronom répète le sujet .

S'étaient juré : pour celui-ci, le « s' » n'est pas COD , mais COI; elles ont juré quoi ? d'élucider le

mystère ; à qui ? à « s' » (elles)

travestît : c'est le subjonctif , demandé par le verbe « accepter », et l'imparfait, car le texte est écrit

au passé.

Noirs : désignent les personnes de la race noire. Il faut donc la majuscule.

 

 

Mardi 20 Décembre 2016

 

 

 

La nuit de Noël

 

 

 

Dom Balaguère doit dire les trois messes basses de Noël au château de Trinquelage, mais il est très impatient d'assister au réveillon dont son clerc Garrigou lui a décrit les préparatifs...

 

 

 

Drelindin din !… Drelindin din !…

C’est la messe de minuit qui commence. Dans la chapelle du château, une cathédrale en miniature, aux arceaux entrecroisés, aux boiseries de chêne, montant jusqu’à hauteur des murs, les tapisseries ont été tendues, tous les cierges allumés. Et que de monde ! Et que de toilettes ! À côté du sire de Trinquelage en habit de taffetas saumon, de sa jeune dame coiffée d'une haute tour de dentelle gaufrée à la dernière mode et de la vieille marquise douairière dans sa robe de brocart couleur de feu, ont pris place sur des prie-Dieu garnis de velours, les seigneurs arrivés en carrosse, dans la nuit étoilée.

 

Drelindin din !… Drelindin din !…

Le fait est que chaque fois qu’elle tinte, cette sonnette du diable, le chapelain oublie sa messe et ne pense plus qu’au réveillon. Il se figure les fourneaux où brûle un feu de forge, la buée qui monte des couvercles entrouverts, et dans cette buée deux dindes magnifiques, bourrées, tendues, marbrées de truffes…

Ou bien encore il voit passer des files de pages portant des plats enveloppés de vapeurs tentantes, et avec eux il entre dans la grande salle déjà prête pour le festin. Ô délices parfumées ! voilà l’immense table toute chargée et flamboyante, les paons habillés de leurs plumes, les faisans écartant leurs ailes mordorées, les flacons couleur de rubis, les pyramides de fruits éclatants parmi les branches vertes, et ces merveilleux poissons dont parlait Garrigou, étalés sur un lit de fenouil, l’écaille nacrée comme s’ils sortaient de l’eau, avec un bouquet d’herbes odorantes dans leurs narines de monstres. Si vive est la vision de ces merveilles, qu’il semble à dom Balaguère que tous ces plats mirifiques sont servis devant lui sur les broderies de la nappe d’autel, et deux ou trois fois, au lieu de Dominus vobiscum ! il se surprend à dire le Benedicite. À part ces légères méprises, le digne homme débite son office très consciencieusement, sans passer une ligne, sans omettre une génuflexion ; et tout marche assez bien jusqu’à la fin de la première messe ; car vous savez que le jour de Noël le même officiant doit célébrer trois messes consécutives.

 

D'après Alphonse Daudet (Les trois messes basses)

 

 

Madame de Sévigné, dans la nuit de Noël de l'an 1677, offrit un réveillon, dans son merveilleux hôtel Carnavalet. D'après le cérémonial accoutumé, Coulanges met le feu à la bûche de Noël, dans la grande cheminée Henri II. La table est garnie au centre d'un agneau tout entier. Sur l'immense dressoir, qui occupe tout un panneau de la salle, des orangers encadrent les aiguières et la vaisselle d'argent et de vermeil. Les jets d'une haute fontaine les parfument encore de l'essence des fleurs les plus odorantes et les plus variées. Le réveillon se prolonge au milieu des huit services dont la simple énumération, en sa consistance abondante et variée, suffirait à soulever d'effroi les estomacs de notre temps. Qu'il nous suffise d'indiquer qu'après les soupes, les entrées, les deux services de rôtis, gros et menu gibier, le service des poissons : saumon, truite et carpe, parurent deux énormes buissons d'écrevisses flanqués de quatre tortues dans leur écaille. Au sixième service, on en était encore aux légumes : cardons et céleris, et le huitième service termina le repas par les amandes fraîches et les noix confites, les confitures sèches et liquides, les massepains, les biscuits glacés, les pastilles et les dragées. Les meilleurs crus de Bourgogne et des côtes du Rhône avaient arrosé les divers services, le muscat de Languedoc restant réservé aux babioles du dessert.

 

Extrait du blog de "Crilou de Savoie"

 

 

 

 

 

 

 



08/12/2016
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 24 autres membres