AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

AU FIL DES MOTS à Chavagnes-en-Paillers

Février 2019

Mardi 5 février

De la langue au menu

 

Bien qu'elle fût lancée quelque vingt-cinq ans plus tôt sous l'égide de l'Académie, la simplification de l'orthographe connut encore bien des soubresauts au printemps dernier quand il fut question de l'appliquer aux manuels scolaires. Aussitôt, les esprits s'étaient échauffés, les éditorialistes s'étaient complu dans des satires et des brocards assassins, des libelles enflammés s'étaient répandus dans les mass media accusant cette réforme de mener tout droit à l'illettrisme.

 

Aussi, en accueillant sa fine équipe de débatteurs, leur amphitryon se réjouissait déjà des échanges passionnés qui allaient animer le dîner. Dès l'entrée servie, un sashimi de Saint-Jacques accompagné de quelques sushis, l'assemblée s'attaqua au contenu de nos dictionnaires. Une jeune femme tout ébouriffée, faux cils charbonneux, s'insurgea sur-le-champ contre les termes étrangers qui envahissaient nos ouvrages et qu'elle aurait mis pour la plupart au rancart, surtout les anglicismes encore plus abhorrés depuis le « Brexit ». Face à une saillie aussi naïve qui viderait à demi nos dicos de mots aujourd'hui si bien intégrés, la tablée la tança illico rendant notre va-t-en-guerre toute honteuse.

 

Un Bruxellois exubérant, ayant fréquenté des athénées réputés outre-Quiévrain, la charria alors gentiment pour cette calembredaine mais défendit avec force les belgicismes et autres régionalismes. « Viens donc guindailler chez nous et tu pourras déguster un waterzooi arrosé d'un kriek en contribuant à nos accises », plaisanta-t-il.

 

Après que le châteaubriant eut été dégusté, les esprits embrumés par les grands crus qu'ils avaient bus jusque-là laissèrent libre cours à des propositions plus ou moins farfelues.

 

Un scrabbleur accro qui n'avait plus les crocs mais affamé d'anagrammes tordues comme ESCROC et SOCCER ou encore de phonèmes épenthétiques, souhaita que l'on fît entrer toujours plus de néologismes aux orthographes piégeuses. Il évoqua comment ses amis et lui-même s'étaient autrefois ri du I et du Y en psalmodiant cette phrase mnémotechnique : « Les sibylles libyennes partagent des oaristys passionnées durant leurs idylles » ,

 

Un twitteur, adepte du hashtag et du widget, fit une suggestion vraiment sans queue ni tête pour qu'à coups d'apocopes et d'aphérèses les mots fussent réduits au plus court. Un faubourien prononça un vibrant plaidoyer pour l'argot, le verlan et même le loucherbem.

 

Quoique le débat fût loin d'être clos à ce moment-là, notre hôte proposa une trêve pour le dessert, un énorme moka ceint à son pied de bougies scintillantes célébrant le quart de siècle de la dictée de Saint-Maur.

 

 

Jean-Marie Delille

25e dictée de Saint-Maur- 21 novembre 2016

 

 jeudi 7 février 2019

 

Balade aquatique

 

Me voilà redescendue dans cet étang paisible par la dernière giboulée de printemps. J'évite ainsi, cette fois, le long parcours souterrain qui me purifie et m'enrichit de mes sels minéraux. Vous m'avez bien sûr reconnue, je suis la goutte d'eau, celle qui fait germer la graine, pousser la plante et fleurir le jardin.

Mes voyages, cycliques, sont tous différents. Quel bonheur que de s'évaporer dans ces nuages aux contours parfois si étranges où je me sens libre et légère ! Mais il m'arrive aussi d'être entraînée dans les noires profondeurs de la terre. Là, le temps me paraît une éternité et chaque retour à la lumière est un jaillissement inespéré.

J'aime flâner dans les modestes rus et, ayant rejoint la rivière ou le fleuve, il m'arrive même, hélas, de participer à la crue. Mais, qu'y puis-je ? Ce que je redoute par-dessus tout, c'est de me fondre dans l'immensité de l'océan. Perdue dans l'anonymat des houles, je me sens si petite ! Mon rêve ? Me métamorphoser en neige éternelle.

Je suis née pour être limpide et pure. Que feras-tu, toi qui m'écoutes, pour que je sois toujours cristalline ? Que feras-tu pour que mes nappes phréatiques restent vives et qu'elles puissent étancher ta soif sans nuire à ta santé ? Écoute moi ! Protège-moi !

Henri Le Guen



Le pont

C'est moi le pont, je relie la gauche et la droite,
C'est vrai que moi j'adore me mirer dans l'eau
Et, regarder ce qui passe là-bas à vau-l'eau
Comme le font les nuages qui font les beaux ;
La gauche, rive à lise, épie la rive reine, à droite.


Sur le petit ruisseau, je suis une passerelle ;
Pour la jolie rivière, j'ai mes deux pieds dans l'eau,
Mais, avec parfois en plus, un ou deux arceaux
Où vient s'abriter la famille des poules d'eau
Qui se cache pour la nuit avec sa ribambelle.

Au fleuve tumultueux, je suis pont suspendu
Et joue au vent du nord des accords de harpe.
L'ombre de mon tablier camouflera les carpes,
L'hiver j'aurai le pêcheur, son ciré, son écharpe
Et, l'été j'aurai le saut de l'ange défendu.


Je ne suis que le pont, je ne suis pas frontière ;
Je suis la main tendue de la gauche à la droite,
Je ne suis qu'un passage comme une porte étroite,
Je suis l'amour, la vie que l'espoir miroite
Comme les premiers jours des saisons printanières.

Il y a tant de rêves sur la rive de gauche ;
Il y a tant d'espoir sur la rive de droite.
Sache reconnaître que ce que tu convoites
N'est pas tellement une idée maladroite,
Même présentée de manière un peu gauche.

Francis Bury

 

 

 Mardi 19 février

 

 

 



06/02/2019
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